Événement Séminaire : Séminaire Ville, Territoire, Paysage
Les écoles dans leur territoire
Du au
Présentation
L'École nationale supérieure d'architecture (énsa-v) et l'École nationale supérieure de paysage (ENSPÉcole nationale supérieure de paysage), en lien avec leurs laboratoires de recherche, le LéaV et le LarepLaboratoire de recherche en projet de paysage, ont accueilli les 13 et 14 juin 2019 le troisième séminaire inter-écoles du réseau "Ville, Territoire, Paysage".
Cette troisième édition a souhaité explorer le rapport que les écoles développent avec leur territoire.
Ce questionnement s'articule autour de trois thématiques principales :
- territoire et patrimoine : le rapport à l'histoire, à la société, à l'identité, à la conscience du lieu, etc.
- territoire comme écosystème : le rapport au vivant, au climat, à la qualité des sols, à la gestion des ressources, à la biodiversité, au métabolisme territorial, aux trames vertes et bleues, etc.
- territoire et gouvernance : la gestion des mobilités, frontières et modalités de prise de décision dans les territoires, les acteurs institutionnels et les tactiques habitantes, etc.
Les enseignements selon Pierre Donadieu
18 juin 2019
Le séminaire cherchait à répondre aux questions suivantes :
- quelles relations les enseignants et les chercheurs des écoles d’architecture et de paysage entretiennent-ils avec leur territoire d’enseignement ?
- quelles pédagogies sont utilisées pour élaborer les projets spatiaux, d’architecture, de ville et de paysage ?
- quelles idées de territoire et de paysage émergent aujourd’hui dans la formation des architectes et des paysagistes ?
Treize interventions et dix-huit posters ont été présentés dans les deux écoles avec un public variant de 30 à 60 personnes, et une excursion dans le territoire de la plaine de Versailles a été organisée avec le concours de Manuel Pluvinage, directeur des services généraux de la communauté d’agglomération de Versailles Grand Parc. Sept écoles d’architecture (Versailles, Paris-Malaquais, Nantes, Montpellier, Marseille, Grenoble) et trois écoles de paysage (Versailles, Angers, Lille) étaient représentées.
Faites par des enseignants d’écoles de concepteurs d’espaces, les interventions présentent des points communs classiques. Elles se distinguent néanmoins par des choix différents de pédagogie du projet d’espace et des variations du sens des principaux éléments de langage utilisés.
Les points communs
D’abord une évidence pour tous (ou presque) : il est nécessaire, sinon essentiel, de connaitre les territoires, et d’en reconnaitre les caractères morphologiques, sociaux et économiques, pour fonder des projets d’espace qui s’y inscrivent, qu’ils soient d’architecture ou de paysage. Les pédagogies ont intérêt à tirer parti autant de la forme des paysages que des dynamiques sociales et économiques des espaces où s’ancrent les projets ; des identités sociales locales que des jeux d’acteurs (élus, habitants, associations …) sur lesquels elles peuvent s’appuyer.
La pluridisciplinarité semble de plus en plus s’imposer pour diversifier et enrichir la lecture des sites et l’imagination des projets dans les ateliers. Sont mobilisées, non seulement la géographie physique et sociale (notions d’échelles spatiales et d’acteurs sociaux multiples), mais également l’histoire locale, la sociologie et l’anthropologie sociale et culturelle.
Les mêmes outils de projets (plans, maquettes, dessins, coupes, cartes, photographies…) utilisés par les architectes et les paysagistes inscrivent enseignants et étudiants dans des communautés professionnelles voisines de praticiens de projets. Les compétences sont cependant distinctes et en général complémentaires.
Dans les interventions, le problème commun de la distinction entre démarches de projets de paysage et de projets d’architecture est abordé de deux façons différentes. Soit en associant dans les ateliers explicitement sur un site les compétences qui permettent la construction des objets architecturaux et celle des relations sensibles entre les objets (mise en paysage des sites). Un exemple est celui des paysages de l’eau à Dunkerque. Soit en admettant une porosité des notions de paysage, d’architecture, d’urbanisme et de patrimoine pour imaginer un projet inscrit dans un territoire réel ou imaginaire. Dans ce cas, on peut assimiler la notion de territoire, plus à un concept de milieu (au sens de la mésologie de A. Berque), qu’à une notion administrative ou sociogéographique (appartenance), par exemple dans le cas des workshops de l’estuaire de la Loire.
En bref, soit on clarifie en distinguant et associant (les deux compétences architecturales et paysagistes sont alors identifiées), soit on redéfinit les idées de territoire et de paysage en tant que milieux de vie humaine et sociale à reconnaitre (de nouvelles compétences hybrides de projet situé émergent).
Les divergences
Nombreux, ils peuvent être néanmoins réunis en cinq polarités. Chacune peut se retrouver avec des dosages variables dans la plupart des exercices pédagogiques.
Le pôle de l’arpentage topographique du site de projet apparait clairement dans les ateliers de l’ENSPÉcole nationale supérieure de paysage. Il fonde également la production de l’atlas métropolitain de Marseille. La lecture du site de projet ou du territoire mobilise les outils de la description et de l’analyse critique (croquis, coupes, cartes, photographies…) pour fonder un parti personnel ou collectif de projet en fonction de ce qui est compris des enjeux locaux (habitat, logement, patrimoine, mobilité, création, réhabilitation…).
Le pôle de la construction d’un récit inspirant le projet est soit explicite soit subliminal. C’est le cas des travaux recherchant l’imaginaire culturel des objets ordinaires nomades (le peigne, le balai) et fondant des projets d’architecture (ENSA Paris Malaquais). Mais il est possible également de mobiliser les étudiants sur le devenir d’un bâti (un mas abandonné) en s’appuyant sur les acteurs locaux concernés. Le récit utopique situé fonde alors « une programmation générative » du territoire (ENSA Montpellier).
Le pôle de l’enquête pour le projet s’appuie sur les méthodes de l’anthropologie sociale et culturelle, et de la sociologie. Cette approche expérimentale conjuguée à celle du projet d’architecture permet de reconnaitre les situations sociales difficiles telles qu’elles sont dites par les habitants, notamment dans les territoires péri-métropolitains des villes moyennes de Nevers et Dieppe, ou le long de l’estuaire de la Loire (ENSA Paris Malaquais et Nantes). L’acte de projet d’architecte est alors décentré du « je » vers les intérêts des habitants enquêtés.
Le pôle de la participation sociale permet dans les ateliers d’aller jusqu’à des décisions et des réalisations effectives. L’étudiant, le stagiaire deviennent partie prenante d’un projet abouti. Par exemple en réalisant avec les agriculteurs un jardin vernaculaire dans les chinampas menacés de Mexico. Ou avec les habitants du quartier de Belle-Beille à Angers, en contribuant aux décisions collectives de renouvellement urbain (Agrocampus ouest).
Le dernier pôle est celui d’une connaissance universitaire des processus éducatifs de projet (thèses de doctorat). Pour l’architecture en rendant compte des modèles successifs de l’enseignement des pratiques constructives (les Grands ateliers de l’Isle d’Abeau), et pour le paysage des vertus didactiques de l’iconographie des atlas de paysage du Grand Est. Ces derniers ont été réalisés davantage pour des professionnels et des experts du projet de paysage que pour des étudiants et des scolaires.
Dans la réalité des pratiques pédagogiques, l’importance explicite donnée au contexte des projets d’architecture et de paysage amène à ne pas privilégier une seule méthode d’enseignement car c’est l’étudiant qui décide de la démarche qui lui convient. C’est pourquoi, dans les territoires choisis par les workshops, arpentages méthodiques, lectures critiques, enquêtes, productions de récits et pratiques participatives s’entremêlent pour aboutir à un parti attendu de projet de paysage ou d’architecture.
Conclusions
Si l’on s’en tient aux expériences pédagogiques d’enseignement du projet présentées, on peut constater que certaines relèvent d’une tradition pédagogique d’école (l’arpentage méthodique du site et du territoire chez les paysagistes), et que d’autres sont expérimentales (la participation habitante, l’enquête anthropologique). Dans les deux cas, il s’agit bien de renouveler les réponses à la question de la prise en compte des contextes dans l’acte intuitif/déductif de projet spatial. Intention qui hésite en général à se prononcer comme projet social et politique.
Ces pédagogies portent, selon les finalités enseignantes/étudiantes, soit sur l’espace physique (les caractères matériels perceptibles), soit sur les représentations sociales de l’espace, parfois, et plus rarement sur les deux à la fois. Dans les trois cas émergent une pédagogie du projet de territoire à toute échelle spatiale et de temps (en principe chez les paysagistes) et plus locale voire ponctuelle dans le cas des architectes. Pourtant l’idée de l’apprentissage de la gouvernance des projets de territoires n’apparait pas, même avec l’idée de patrimoine et de biens communs à transmettre.
On peut s’étonner également que des choix pédagogiques qui privilégient les contextes territoriaux soient décrits sans référence aux problèmes de transitions climatiques, énergétiques et de biodiversité du XXIe siècle. S’agit-il d’un non-dit, qui n’est sans doute pas un déni ?
Le point essentiel à retenir, qui est confirmé par les expositions de la Biennale d'architecture et de paysage d’Ile-de-France à Versailles, est la disparition des éléments de langage de l’urbanisme, notamment du projet urbain. Est-ce que, dans les formations, la pensée de l’urbanisme de projet est absorbée par celles de l’architecte et du paysagiste concepteur ?
Est-ce que l’on peut encore dire avec le manifeste international de l’urbanisme paysagiste (C. Waldheim et J. Corner, 2006) que « la ville doit être construite non par l’architecture mais par le paysage » ?
Ou bien devrait-on le remplacer par : « le territoire habité (la région urbaine notamment) se construit à la fois par l’architecture, le patrimoine et le paysage » ? Ce qu’a théorisé la société des territorialistes italiens (A. Magnaghi, 2014) en s’adossant à la philosophie du biorégionalisme (Berg, 1977).
Avec ce seul échantillon, il est prématuré de conclure …
Ajoutons qu’en réponse aux questions posées au début, on peut constater des expériences pédagogiques différentes dans les territoires où les formations de concepteurs de projets s’implantent. Celles-ci semblent évoluer de pédagogies de la forme centrées sur le faire, vers des configurations privilégiant les rencontres avec ceux et celles que les formes et les actes constructifs concernent. Le sens des notions clés de territoire et de paysage, peu ou pas définies en général, semble cependant converger vers celui de milieu habité, tel que le définit « mésologiquement » le géographe et philosophe A. Berque.