Un jardin de production

La valeur universelle du Potager du Roi tient à l’étroite relation qu’il entretient entre l’utile et l’agréable.

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Allier l'utile à l'agréable

Des cultures sur couches au développement des primeurs, de l’accli­matation de nouvelles espèces aux expérimentations des traitements de synthèse, de la permaculture au paysage, l’histoire du Potager du Roi abonde d’illustrations témoignant de l'évolution des modes de production et de consommation alimentaires de l’époque moderne à nos jours et, plus généralement, de l’évolution de notre rapport au manger.

Avec, à l'origine, vingt-neuf jardins clos plantés d'arbres fruitiers palissés, de légumes, d'aromates et de petits fruits, un vaste carré central divisé en seize carrés de légumes, un grand bassin d'eau, de hauts murs, des terrasses plantées, des voûtes et des passages souterrains comme autant de coulisses ... le Potager du Roi scénographie le pouvoir royal sur une nature domestiquée, productive et, ainsi, jugée agréable. Les murs du jardin créent des microclimats pour les cultures, encadrent des scènes au sein des différents espaces et produisent une atmosphère unique qui continue de fasciner les visiteurs.

Dezallier d’Argenville, le plus important théoricien du jardin régulier français, dans son traité La théorie et la pratique du jardinage (1709), déclare qu’il y a deux sortes de jardins : les jardins de propreté (d’agrément) et les fruitiers et potagers. Ces derniers, construits à l’écart du jardin d’agrément et enfermés par des murs, sont destinés plus à l’utilité de la maison qu’au plaisir des yeux, même si parfois ils peuvent atteindre des grandes qualités esthétiques (et Dezallier cite du reste le Potager du Roi). Seule dans les jardins classiques, l’orangerie peut avoir un statut hybride, étant donné qu’elle est souvent placée à l’intérieur du tracé du jardin d’agrément et que les agrumes avaient surtout une utilisation décorative.

Cette fonction de production du Potager du Roi est confirmée en creux par Félibien des Avaux, l’écrivain et historiographe à qui Louis XIV avait confié la description de son château (et donc sa propagande artistique). Dans sa Description sommaire du château de Versailles ancienne et nouvelle (1703), il ne s’intéresse pas au Potager du Roi, alors que tous les autres jardins sont soigneusement décrits. Rajoutons, plus près de nous, que Jacques Moulin, Architecte en Chef des Monuments historiques, interprète l’architecture du pavillon La Quintinie, construit par Jules Hardouin-Mansart, comme rustique, c’est-à-dire se situant du côté de la production et non de l’urbanité ou de l’agrément.

Le Potager du Roi est un jardin de production « intensif » dès l’origine. Sur le plan des itinéraires agronomiques, La Quintinie ne fait pas de rotations culturales. L’épuisement des terres est compensé par des apports massifs de l’extérieur, fumiers d’abord, mais « terres végétales » également.

La fonction de production a été pérennisée au cours des siècles. Elle préserve en large part le Potager de la dislocation à la Révolution française. Elle est d'ailleurs un argument avancé dans le débat parlementaire pour justifier la création d’un établissement d’enseignement sur le site en 1873 (intervention de Jules Leurent à la Chambre des députés). Et elle a été permanente au cours du 20e siècle. La vente aux Halles est attestée à la fin du 19e siècle. L’installation de la pépinière (1905) à l’ouest de la Pièce d’eau des Suisses accompagne le développement d’une vente directe sur place. Une photographie de la visite d’Henri Queuille en 1939 atteste de la présence de la boutique, située à l’époque dans la cour du 4 rue Hardy.

Lié à la production, le jardin a été équipé successivement de différents bâtiments et équipements d’exploitation. Les serres et bâches actuelles (serres contemporaines, serre adossée de Questel, serre du jardin Le Nôtre,..) résultent à la fois de l’accumulation et de la soustraction d’édifices établis en fonction des systèmes d’exploitation successifs.