Acteurs Jardinier : Corinne Lescoutre

Fonction Jardinière

Entité Potager du Roi

À la rencontre de Corinne Lescoutre, jardinière au Potager du Roi depuis 2020. Propos recueillis par Antoine Jacobsohn.

Comment es-tu arrivée au Potager du Roi ?

Avant de connaître le Potager du Roi, je passais régulièrement en voiture par l'avenue du Maréchal Joffre sans vraiment soupçonner l'existence d'un tel espace d'agriculture urbaine de l'autre côté de ces hauts murs. C'est la réalisation d'un stage de deux semaines en plein mois de novembre, dont l'objectif était une immersion sur le site de ma future formation Conception et création de jardin dans le paysage (CCJPConception et création de jardin dans le paysage), qui m'a permis de découvrir ce que ces murs « cachaient ». Je dois dire que cette immersion immédiate dans les cultures légumières, par un temps froid et pluvieux, m'a fait prendre conscience que si le jardin a tout son temps, le temps météorologique, lui, est un des éléments clé d'une bonne culture et d'une bonne récolte.

Quel est ton premier souvenir du Potager du Roi ?

Je me souviens d'être entrée par le 4 rue Hardy, l'entrée historique des jardiniers, d'avoir ensuite traversé la cour, passé le pavillon La Quintinie, les Taxus (les ifs) et d'être arrivée devant le Grand Carré avec les grands arbres du parc Balbi sur ma droite et la cathédrale Saint-Louis en face. C'était un subtil mélange d'urbain et de rural. Je me suis alors dit : « qu'il est super beau cet Open Space ! ». En fait, je pense que le ressenti diffère vraiment lorsqu'on entre par la rue du Maréchal Joffre et le parking. Plus tard, quand j'ai conçu mon projet en 1ère année de Conception et création de jardin dans le paysage (CCJPConception et création de jardin dans le paysage), j'ai proposé une 2e entrée par le 4 rue Hardy, qui ferait le lien avec la pièce d'eau des Suisses et le château.

Aujourd'hui, avec l'organisation actuelle de la ville et des rues, il n'est plus possible de faire entrer le public par l'ancienne entrée des jardiniers. Mais je comprends bien l'effet : c'est la découverte du grand espace après être passé par des petits. As-tu un endroit préféré sur le site ?

Non... parce que j'en ai deux, très différents l'un de l'autre. Il y a le petit belvédère du jardin du Directeur ou du pavillon La Quintinie. C'est un espace à la fois intimiste et privilégié puisque c'est un petit endroit abrité d'un superbe marronnier qui s'ouvre au dessus des murs du Potager du Roi pour y laisser voir la pièce d'eau des Suisses et entrevoir les 100 marches du château de Versailles. C'est une vue plus qu'un jardin, qui ne se laisse pas deviner de prime abord car on n'y arrive souvent sans le vouloir et pas immédiatement.

Quant à mon jardin préféré, c'est le 3e des Onze. Il offre, à mon sens, une ambiance différente des autres jardins. Il m'inspire le calme, la sérénité et la contemplation, grâce à des espaces, tantôt « libérés » de tout végétal et simplement enherbés, tantôt ombragés par des arbres fruitiers, plantés et conduits en port semi-libre ce qui les démarque des autres arbres très structurés du site. J'aime les arbres de plein vent. Et puis, le 3e des Onze, c'est aussi la porte ouverte sur le parc Balbi, dont les arbres sont juste magnifiques, tant par leur taille, nombre et diversité. Un contrepied qui fait équilibre en quelque sorte.

Pourquoi es-tu devenue jardinier ?

C'est quoi le féminin de jardinier ? Jardinière ? C'est vrai que ça fait « objet » plus que personne. J'ai fait 26 ans de bureau, en tant que cheffe comptable. Les chiffres, j'en avais fait le tour, le détour et le contour. C'était pour moi terminé. En plus, je ne voulais plus d'un travail de bureau. Assez d'intérieur, vive l'extérieur ! J'ai toujours jardiné chez mes parents à Yerres et aujourd'hui, chez moi, j'ai deux petites terrasses où j'associe le végétal à mes sculptures en bois flotté ou en pierres. Avec mon mari, nous faisons également des sculptures en béton cellulaire. Je pense que tout ceci m'a amenée consciemment ou inconsciemment vers le Potager du Roi, qui représente pour moi un lieu et des personnes qui m'ont accueillie en tant que stagiaire, bénévole, étudiante, saisonnière et désormais salariée et pour lesquelles je garde un profond attachement. Le Potager du Roi, c'est vraiment pour moi une parenthèse dans le milieu urbain de Versailles, qui alimente à la fois le corps et l'esprit, d'où mon désir d'y jardiner.

Comment es-tu passée d'une formation en Conception et création de jardin dans le paysage au jardinage et notamment à l'arboriculture fruitière ?

De ma formation, je garde à la fois le souvenir d'une très belle expérience et un regret. Nous apprenons à être maître d'œuvre c'est-à-dire à être celui qui conçoit un projet, qui fait appel et coordonne d'autres métiers tel que le géomètre, le terrassier, le jardinier... pour le réaliser. Nous imaginons un jardin par sa forme, ses hauteurs, ses cheminements, ses couleurs, ses ambiances sans véritablement aborder la connaissance « primaire » du végétal (famille, espèce, variété, noms, résistance...), ce qui me semble quelque peu paradoxal. En même temps, en deux années d'études relativement lourdes, en avons-nous le temps et les moyens ? Dans quel ordre faudrait-il apprendre les choses, d'abord par la forme et ensuite par les plantes, ou l'inverse ? Je ne sais pas. Il est vrai qu'il n'est pas possible de tout faire à la fois. Il est nécessaire d'apprendre par soi-même, par l'expérience.

Est-ce qu'il y a un geste de jardinier que tu préfères aux autres ?

La taille d'un arbre évidemment ou comment lire celui-ci pour le réécrire en hiver afin qu'il s'exprime au printemps, phrase que je dis souvent et qui fait sourire mes collègues avec qui j'ai tout appris et continue d'apprendre. Merci à eux ! La conduite d'un arbre est très importante : chaque geste doit être réfléchi, tout particulièrement lors de la taille de formation, bien qu'au final l'arbre choisit souvent son propre scénario.

La conduite d'un arbre est très importante : chaque geste doit être réfléchi, tout particulièrement lors de la taille de formation, bien qu'au final l'arbre choisit souvent son propre scénario.

J'ai souvent l'impression qu'avec toi, le jardinage c'est quelque chose de collectif. Il y a ton mari qui passe parfois avec un de vos petits-enfants. Et je voulais te demander si nous pourrions mettre une ou deux photos du Potager prises par ta fille Morgane ?

Oui avec plaisir, mais ces photos datent de 2016. J'ai vraisemblablement donné la passion du jardinage à mes enfants. Ils m'ont toujours vu jardiner et ont toujours jardiné avec moi. Aujourd'hui, ils font du jardinage chez eux.

Effectivement, je conçois ce métier, cette passion, de façon collective. Un autre exemple qui me vient à l'esprit : les jardiniers du Potager doivent prochainement passer ou repasser le Certiphyto (un examen réglementaire qui autorise un jardinier à être applicateur de produits phytosanitaires biologiques ou de synthèse). Je suis actuellement en train d'apprendre car ce domaine ne m'est pas familier. Pour ce faire, je rédige un dossier que je vais donner aux autres. J'ai toujours appliqué un principe de vie tant personnel que professionnel, qui dit "Si tu ne sais pas, cherche. Si tu ne trouves pas, demande. Si tu sais, partage". Dans le paysage, le jardin, il y a toujours quelque chose à partager.