À la rencontre de Vitor Soares Teixeira, arrivé au Potager du Roi en 2015. Propos recueillis par Antoine Jacobsohn.

Quel est ton premier souvenir du Potager du Roi ?

Depuis mes 12 ans, j'ai toujours habité en région parisienne et pourtant je ne savais pas que le Potager du Roi existait. La première fois que je suis venu, c'était fin août 2015, avec mon groupe de formation. Nous devions avoir un jardinier-guide mais finalement nous nous sommes promenés partout, vraiment partout, mais sans guide. Je me souviens de l'ensemble du jardin et non pas de morceaux séparés. Mais, le premier endroit dont je me souviens vraiment, c'est le jardin Hardy et les espaces de la Forge et des ateliers (c'est-à-dire, côté ouest du Potager, le jardin et les bâtiments techniques qui sont au sud de la Grille du Roi).

Quand je suis arrivé, quelques mois plus tard, en stage, c'est de nouveau cet espace qui m'a le plus marqué. De formation, je suis forgeron, et j'imagine que ça devait être un endroit très vivant à l'époque, avec les forgerons, les chevaux, tout le travail avec les animaux et sur les fers, les outils... Tout était créé et travaillé sur place.

Ça fait maintenant huit ans que je suis là. J'ai 57 ans.

Avec l'école de paysage, le jardin est vivant.

Avec l'école de paysage, le jardin est vivant. En dehors des stages jardiniers, nous n'avons pas toujours de contact avec les étudiants. On les croise, ils nous croisent. Il y en a qui posent des questions et, en traversant régulièrement le jardin, ils apprennent des choses. Leur présence sur le site a du sens, ils seront des futurs concepteurs.

Est-ce que tu as un endroit préféré dans le jardin ?

Aujourd'hui, c'est surtout la voûte ; c'est un bel endroit (c'est l'espace principal de stockage et de préparation des légumes pour le marché, sous la statue de La Quintinie).

Il y a aussi le carré 6 (les carrés du Grand Carré sont numérotés de 1 à 16) ; c'est devenu quelque chose cette année! Nous y avons installé les herbes aromatiques, qui étaient auparavant dans le carré 5, pour que celui-ci puisse passer en planches permanentes intensives. Dans le carré 6, il y avait déjà les carrés de légumes curieux ou perpétuels, comme ce chou cavalier que nous cultivons depuis des années. Avec l'installation des herbes aromatiques, souvent un peu ligneuses, vivaces, le tout marche bien ensemble. C'est un carré dans lequel il est facile de passer du temps à tourner, à regarder, à sentir, à toucher.

Pourquoi est-ce que tu es devenu jardinier ?

Je suis arrivé en France à douze ans, aux alentours de 1978. En réalité, j'étais déjà venu en France avant mais, à la suite d'un accident grave très jeune, je suis reparti au Portugal.

Quand nous sommes revenus, je voulais faire de la mécanique pour travailler sur les voitures, mais j'ai surtout appris à travailler avec des tours à métaux et à faire de l'ajustage. J'ai commencé comme apprenti à 16 ans chez un serrurier-forgeron. Ensuite, j'ai continué, de façon diversifiée, en région parisienne. J'ai travaillé un grand nombre d'années sur les charpentes métalliques. À un moment donné, je suis rentré chez Otis, l'ascensoriste, où je suis resté quinze ans. J'adorais mon métier ! Mais c'est là que j'ai eu un problème de santé. Je ne pouvais plus être dans certaines positions répétitives ou pénibles. Je devais faire une reconversion professionnelle.

J'ai pu entrer au centre Jean Moulin à Fleury-Mérogis. C'est un bel endroit avec des encadrants de très haut niveau et très humains. J'ai fait un bilan de compétences. J'aimais les plantes et j'avais jardiné avec ma mère. Mais, pendant les quinze ans dans les ascenseurs, je n'ai pas beaucoup vu le soleil ! Pour moi, les légumes, c'était une évidence. Quand j'ai quitté la maison de mes parents, j'avais dix-huit ans. J'ai toujours cuisiné et j'ai toujours aimé le faire. Au centre Jean Moulin, j'ai commencé avec les fleurs, dans les serres, en magasin, en espace vert. C'était ce qu'ils proposaient. C'est lors de cette première visite au Potager que j'ai choisi de revenir ici pour faire un stage.

Est-ce qu'il y a un geste de jardinier ou un outil que tu préfères aux autres ?

J'aime tout ! Les tâches sont diverses. Mais le principe de la grelinette me plaît, à la fois le geste et l'outil. Ce n'est pas un geste qui fatigue - il n'y a pas besoin de se courber - et c'est un outil qui respecte le sol. Je l'ai découvert ici.

Tu as découvert des choses ici, mais tu as aussi fait découvrir des choses à tes collègues.

Je rapporte des plantes de mes voyages. Il y a souvent des courges ou des choux. Le chou est une de mes plantes préférées, le chou portugais en fleurs avec plein d'abeilles par exemple. C'est un chou qui était plutôt pour le bétail au départ mais les Portugais en ont fait une plante que l'on déguste en potage, le « caldo verde », dans les fêtes comme les mariages.

La transformation des produits du jardin me plaît. Si j'aime travailler au jardin, c'est aussi parce que j'aime cuisiner et recevoir des personnes à la maison. Un de mes plats préférés, c'est le chou fassoum, ou chou à la niçoise. Ce n'est pas vraiment une recette simple. Il faut reconstituer le chou complet comme s'il sortait du jardin. Même mes filles, qui petites étaient difficiles à table, s'en régalaient.

La cuisine, c'est comme le jardin. On peut faire simple ou élaboré. Dans les deux cas, il faut une inspiration.

La cuisine, c'est comme le jardin. On peut faire simple ou élaboré. Dans les deux cas, il faut une inspiration. Avec ma femme, quand on ouvre le frigo, elle me dit qu'il faut sortir faire des courses, et moi je dis que je vais faire avec ce qui est là. Et d'ingrédient en ingrédient, de légume en légume, on finit par faire une belle assiette. Depuis quelque temps, je m'intéresse à la cuisine asiatique et, en ce moment, surtout à la cuisine thaïlandaise. C'est simple et efficace. C'est un assemblage de petites choses qui ont du goût. C'est raffiné.