Projets chantier du siècle : Les armatures de palissage du Grand Carré

Une restauration et une replantation séquencées dans le temps

Le projet de replantation du Grand Carré dans l’état qui était probablement le sien fin 18e-début 19e siècle fait partie intégrante du programme global de restauration et de conservation des éléments patrimoniaux du Potager du Roi.

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Replanter le Grand Carré

Le Grand Carré se situe au cœur du Potager du Roi. D’une surface de trois hec­tares, il est divisé en seize carrés de cultures légumières, entourés de lignes de poiriers palissés en contre-espalier prenant appui sur des armatures en fer for­gé.

Sa réhabilitation comprend la restauration des armatures dites "de palissage" et la replantation de nouveaux poiriers. Entre 2002 et 2010, l’École nationale supé­rieure de paysage avait déjà entrepris des travaux sur 20 lignes de palissage. Grâce à la générosité de près de 800 mécènes de la campagne d'appel aux dons mon potager, c'est le Potager du Roi, les travaux de restauration sur cinq lignes de palissage ont pu être lancés dès 2021 sur les quatorze lignes définies comme prioritaires, travaux qu’il convient désormais de poursuivre pour neuf autres lignes sur les soixante-huit que compte le Grand Carré.

Avec le développement de la démarche agroécologique sur le site, la notion de durabilité est au cœur du projet : la replantation des premiers arbres sera ainsi réalisée après consultation des archives mais aussi sélection des variétés et des portes-greffes les mieux adaptés aux conditions de culture actuelles et au nouveau contexte climatique.

État des lieux

Un peu d'histoire

Le roi Louis XIV aimait venir admirer son Potager. Il arrivait par la Grille du Roi et remontait ensuite une allée plantée de seize poiriers ‘Robine’, avant de découvrir le Grand Carré, dont l’aspect devait changer un siècle plus tard : c’est dans cet espace du jardin qu’ont en effet été installées, probablement fin 18e - début 19e siècle, les premières armatures de palissage servant de base à la culture d’arbres fruitiers en contre-espalier, dont l’organisation spatiale et visuelle est devenue aujourd’hui si emblématique.

Le palissage en contre-espalier – les branches sont guidées le long de fils de fer tendus entre des piquets – permet à l’arbre de bénéficier d’une exposition optimale sous toutes les coutures. Dans son Traité des arbres fruitiers (1768), Henri-Louis Duhamel du Monceau écrit : « les arbres en éventails, en contre-espaliers, en palissades, embarrassent moins les jardins (que les arbres buissons), sont d’un produit à peu près égal et sont un ornement plus agréable à la vue ». On peut également lire dans un document d’archive de 1773 traitant du Potager du Roi : « les treillages des contre-espaliers […] en fer coutent à la vérité davantage mais leur durée éternelle doit les faire préférer ».

État des arbres

L’hiver 1879-1880 est précoce : les températures descendent en-dessous de 0 °C à la mi-novembre pour ne pas remonter pendant plus d’un mois. Les arbres ne sont pas encore assez endurcis pour passer l’hiver et plus des trois-quarts meurent.

Replantés massivement suite à cet épisode à la fin du 19e siècle et dans la première moitié du 20e, les arbres ont aujourd'hui dépassé leur espérance de vie en conditions de production. Jules Nanot, professeur d'arboriculture fruitière et directeur de l'École nationale d'horticulture au début du 20e siècle, écrivait par exemple que la durée de vie d'un poirier au Potager du Roi était de 70 ans.

Dans le cadre du projet de réhabilitation, la replantation s’envisage avec des espèces, des variétés et des formes fruitières qui n’ont pas toutes la même espérance de vie afin de réduire l’impact sur la produc­tion et la gestion des cultures tout en préservant l'esthétique du site. La replantation est également programmée de manière séquencée dans le temps.

État des armatures

Les poiriers sont de véritables forces de la nature ! Mais pour des arbres formés en palmettes Legendre, les armatures en fer forgé et le fil de fer s’avèrent indispensables. Or, au bout de 140 ans, avec les forces appliquées par les arbres aux pièces en fer qui guident et soutiennent leurs branches principales, le fer s’érode et les soudures lâchent. Nombreuses sont les armatures trop fragiles pour permettre une replantation sans restauration en conservation  ou une réfection à neuf de l’ensemble. Ce sont notamment les points de jonction qui relient le bas des consoles aux potences et le haut des consoles aux lisses qui s’écartent et rendent les armatures instables. Certains massifs de support en pierre sont par ailleurs dégradés et contribuent à l'instabilité générale.

Les étapes de la restauration

Refaire les armatures

Les travaux concernent une restauration en conservation et une réfection à neuf. La première implique la dépose et le démontage des structures, l’extraction de la rouille, le redressement des éléments tordus, la révision des assemblages, le sablage, la métallisation et le traitement antirouille, et, enfin, la repose en place avec les réglages nécessaires pour accueillir les futures lignes d’arbres palissés. Quant à la réfection à neuf, elle implique la fabrication en fer doux forgé de tous les éléments constitutifs d’une armature - poteau, jambe de force, lisse horizontale et consoles cintrées.

Choisir les variétés

La répartition des poiriers imaginée par La Quintinie à la fin du 17e siècle oriente les choix actuels de replantation : poires d’été autour des 4 carrés du quartier nord-ouest, poires d’automne autour des 4 carrés du quartier sud-ouest et poires d’hiver autour des 8 carrés de la moitié est du Grand Carré. Pour s’assurer de la bonne pollinisation de l’ensemble, les 16 lignes de poiriers qui bordent les allées engravillonnées seront plantées de poiriers d’été de la variété ‘Williams bon chrétien’, qui donne des fruits particulièrement aromatiques et dont le pollen est apprécié par un grand nombre de variétés de poiriers.

Replanter

Défini en concertation avec l'équipe des jardiniers, le programme de replan­tation de chaque ligne de palissage est organisé en plusieurs phases : la déplantation des anciens arbres, la régénération des sols sur plusieurs mois et la replan­tation à proprement parler, en hiver, de nouveaux arbres, qui sont ensuite formés en palmettes Legendre. Dix années sont nécessaires pour que les poiriers atteignent les cinq niveaux de cette forme complexe qui mobilise un sa­voir-faire spécialisé et environ vingt ans pour atteindre leur taille adulte.

Replanter une ligne de poiriers

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Replanter une ligne de poiriers palissés au Potager du Roi

Durée 2'13"

Une animation réalisée par Alice Stevens.

L'avancée des travaux

Entre septembre 2020 et février 2022, l’École nationale supérieure de paysage a réuni 131 000 € grâce au soutien de près de 800 mécènes lors des deux premières éditions de la campagne mon potager, c'est le Potager du Roi. Les deux premières tranches de travaux ont pu être lancées pour cinq lignes de palissage sur les quatorze définies comme prioritaires.

La restauration des armatures en fer forgé du Grand Carré a été confiée par l'École nationale supérieure de paysage à la Forge d’Art Loubière, entreprise du patrimoine vivant située dans le Maine-et-Loire, qui intervient sous les directives de l’Architecte en chef des Monuments historiques. Les travaux de restauration et de replantation sur les quatorze lignes de palissage définies comme prioritaires ont été programmés selon six tranches successives, à raison d'une tranche par année. Les deux premières tranches de travaux sur cinq lignes d'armatures se sont déroulées selon le calendrier prévisionnel établi en début de projet, entre juin 2021 et septembre 2022. Elles ont concerné une restauration en conservation et une réfection à neuf.

Une intervention dans les règles de l'art

Afin de préparer le terrain, les jardiniers du Potager du Roi ont tout d'abord débité puis récolté les anciens poiriers sur les lignes concernées par les travaux. Les arbres étaient arrivés en fin de vie et, pour certains, à l’état de bois mort. La Forge d’Art Loubière a ensuite pris le relai sur le terrain avec l'identification et la dépose des armatures, puis le rapatriement à la forge et le désassemblage complet des fers. Selon leur état, les éléments ont fait l’objet d’une restauration en conservation et/ou d’une réfection à neuf à l'identique. Un montage à blanc a été réalisé afin d'apporter les ajustements nécessaires, suivi de plusieurs étapes de finition (sablage, métallisation, peinture). Le retour sur site a eu lieu en octobre 2021 pour la première tranche de travaux et en septembre 2022 pour la deuxième avec un ensemble de calages et l'installation des fils de palissage sans percement des montants pour accueillir les futures lignes d’arbres palissés.

La sélection des premières variétés

Les trois lignes de palissage concernées par la première tranche de travaux en 2021 se situent du côté est du Grand Carré. Des poires d’hiver y seront plantées à l'hiver 2023-2024.

L'École nationale supérieure de paysage a mobilisé un groupe d’experts extérieurs pour accompagner le choix des variétés selon un ensemble de critères relatif à la saison, à la vigueur, à la fertilité, à la qualité du fruit et à son histoire.

La Bergamote de Bugey, la Catillac, la Colmar et la Virgouleuse sont notamment à l'étude. Outre le fait d’arriver à maturité de consommation au plus fort de l’hiver, ces quatre variétés présentent toutes une grande vigueur – critère important pour la formation en palmette Legendre - et étaient déjà connues de La Quintinie au 17e siècle. Selon ce dernier, la Bergamote de Bugey possède une chaire qui « participe en même temps du ferme et du tendre et pour ainsi dire est presque cassante », tandis que « la chair [de la Colmar] est tendre et l’eau fort douce et fort sucré ». Quant à la Virgouleuse, elle fait partie de ses préférées, tandis que la Catillac, classée par La Quintinie dans la liste de « celles que je connais pour si mauvaises que je ne conseille à personne d'en planter », est certes mauvaise crue, mais le fruit cuit ou transformé est des meilleurs !

Témoignage

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La Forge d'Art Loubière

Durée 2'33"

Témoignage de Christophe Beausoleil, dirigeant de la Forge d'Art Loubière

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