Projets chantier du siècle : Les murs à palisser du Potager du Roi
La restauration d'un élément architectural structurant du jardin
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Introduction
Plus que dans beaucoup d’autres jardins, les murs constituent l’élément architecturé le plus structurant du Potager du Roi, site historique de l’École nationale supérieure de paysage : ils représentent 4.9 km de linéaires en façade sur un espace de 9 hectares. La quasi-totalité de ces murs a été ou est encore un élément technique pour la production de fruits par des arbres formés en espaliers.
Selon le diagnostic conduit par l’Architecte en chef des Monuments historiques, 15% du linéaire des murs présentent un état très préoccupant. Sur les 729 mètres inventoriés dans cette classe, 253 mètres – soit plus d’un tiers - concernent des portions de murs déjà effondrées ou partiellement effondrées. À l’inverse, seuls 7% des murs présentent un état satisfaisant, ne nécessitant aucuns travaux. Il s’agit en général de murs restaurés par l’école depuis moins de 20 ans. Il faut noter que certains murs restaurés récemment nécessitent toutefois des reprises importantes, notamment au niveau des enduits.
Au Potager du Roi, l’état préoccupant de conservation des murs rejoint la question de la nécessaire (re)plantation des arbres fruitiers. Il n’est en effet pas possible de planifier le rajeunissement du patrimoine arboré du site avant d’avoir mené à bien la restauration des murs qui leur servent de support. Or, selon les formes choisies, un espalier peut nécessiter entre 8 et 30 ans pour arriver à maturité. L’arbre sera cultivé au même endroit pour une durée variant de 60 à 70 ans pour les pommiers et encore plus longue pour les poiriers. Une fois que les arbres sont en place, il est difficile, voire impossible, de réaliser des travaux sur le mur autres que de menues réparations d’entretien aux couronnements et faitières. L’urgence concerne dès lors la mise en œuvre sur l’ensemble du site d’un programme régulier de restauration des murs qui soit couplé avec la replantation des arbres fruitiers dans des conditions favorisant leur longévité, c’est-à-dire en lien avec le nouveau contexte climatique et les ressources disponibles.
Dans ce cadre, l'École nationale supérieure de paysage remercie chaleureusement le World Monuments Fund d’avoir rendu possible le chantier de restauration du mur M15 conduit entre novembre 2019 et janvier 2021.
Cette première étape a permis de sensibiliser un large public aux enjeux de restauration des murs et d’initier des travaux sur d’autres larges ensembles avec le soutien de l'État, via le ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire, et de la Région Ile-de-France, dans le cadre du Contrat Plan État-Région :
- le mur M19A, situé entre le 5e des Onze et le jardin Duhamel du Monceau ;
- les deux pans de murs qui bordent le côté sud du Grand Carré et séparent la Terrasse Sud de la Terrasse Nord (dits aussi M17B et C) ;
- un court tronçon très endommagé qui sépare les jardins 1er des Onze du 2e des Onze (dit M2C) ;
- les quatre pans qui bordent le côté nord du Grand Carré (dits aussi M11B, C, D et E) et constituent le mur qui sépare la Terrasse La Quintinie, au sud, des jardins de la Melonnière et de la Figuerie, au nord.
État des murs
Du 17e au 19e siècles, les murs du Potager du Roi ont été montés au mortier de chaux. Le haut des murs et les scellements des faîtières étaient généralement réalisés au mortier de plâtre. Au 20e siècle, certains murs, voûtes et faîtières ont pu être montés ou réparés avec du mortier de ciment. Au 17e siècle, les enduits ont été réalisés au plâtre. Au 18e siècle, un grand nombre ont été réalisés à la chaux. Au 19e siècle, il y a eu un retour au plâtre et, au 20e siècle, mêmes les enduits ont été réalisés au ciment. L’introduction du ciment, un liant imperméable à l’air et à l’eau, empêche la structure du mur de respirer et son emploi sur le site a provoqué de nombreux dégâts. Les réparations et enduits au ciment sont aujourd’hui des points de fragilité à surveiller. La compréhension et la connaissance des techniques et des matériaux employés sont ainsi au cœur des enjeux de restauration.
Un certain nombre d'enduits centenaires du Potager du Roi tiennent relativement bien. L'âge de ces enduits est estimé :
- par rapport à la présence de trous carrés indiquant une pratique de palissage à la loque correspondant à des photos datant des alentours de 1900 ;
- par l’absence de mentions dans les sources d’archives de travaux majeurs sur les murs depuis le début de la 3e République ;
- par rapport à l'âge des arbres encore cultivés sur les murs.
Par contre, la quasi-totalité des murs dont les enduits ont été restaurés entre 2000 et 2007 présentent des désordres très conséquents : cloques, érosions, fissures, lacunes. Dans leur cas, du « MPC », ou mortier plâtre-chaux, a principalement été utilisé y compris pour les enduits, avec des pétards de chaux, des miettes de charbon et de la brique pilée. Les pétards de chaux sont utilisés principalement pour donner une texture moins lisse. La présence de charbon de bois est un artefact de la fabrication du plâtre et de la chaux, car ce sont des matériaux qui traditionnellement proviennent de fours fonctionnant au bois. Il est possible que cette présence a un effet assainissant par rapport aux algues, lichens ou mousses. La brique pilée semble avoir été choisie pour sa couleur et peut-être pour sa capacité d'absorber de la chaleur. De 2000 et jusqu'en 2007, les enduits ont été teintés dans la masse, ocre avec une tendance vers l'orange.
Un certain nombre d’hypothèses peuvent expliquer la rapidité dans l’apparition de désordres sur les murs récemment restaurés :
- défauts de fabrication ou évolution des matériaux (y compris effets de pollution) ;
- défauts de la malaxation (trop court ou trop long) ;
- défauts d'application (par temps trop humide et/ou trop froid) ;
- défauts des joints de la couverture ou faîtière ;
- côtoiement de matériaux de types différents (différences dans les propriétés hydrauliques notamment : ciment, chaux hydraulique ou aérienne, plâtre, résine, ...) ;
- le fait de restaurer un seul côté d'un mur et non les deux ;
- l'absence ponctuelle de barbacanes, etc.
Il est possible que pour chaque mur une combinaison de plusieurs facteurs ait joué. Les deux principaux éléments récurrents sont les défauts de joints de la couverture en tuiles (absence de réparations) et le côtoiement de matériaux de type différent. Au milieu du 20e siècle, de nombreuses réparations et enduits ont en effet été réalisés avec du ciment. Ce liant, imperméable à l'air et à l'eau, empêche la structure du mur de respirer. Les réparations faites au ciment deviennent ainsi aujourd'hui des points de fragilité à surveiller.
Dans le cas du M15, certaines tuiles de la couverture étaient en mauvais état et pouvaient laisser l’eau s’infiltrer dans le mur par le haut. Toutefois, ce n’était pas particulièrement le cas pour la partie qui s’est effondrée. Il semblerait que la différence d'enduits entre les deux faces du mur, ciment d'un côté / plâtre et chaux de l'autre, soit la principale cause de l’effondrement partiel. Cette différence a en effet généré une modification des mortiers à l’intérieur du mur. Une hernie cachée s’est développée, devenue progressivement un décollement plus général et, enfin, un « ventre » bien visible de l’extérieur. En avril 2015, quand les premières pierres sont tombées, ce n’était que sur quelques mètres du côté nord. Le mur était visuellement complet. Toutefois, au moment de sécuriser l’espace, le démontage du mur sur plus de 15 mètres a été rendu nécessaire avant de retrouver une certaine solidité. D’autres hernies ou « ventres » étaient observables pour la partie située plus à l’est.
Face à cette situation, l’enjeu est pouvoir initier une démarche qui aboutisse à des réalisations durables et respectueuses de l'histoire du site. C’est dans ce contexte qu’en 2015 a été commandé par l'École nationale supérieure de paysage à l’Architecte en chef des Monuments historiques un programme d'interventions sur les ouvrages maçonnés et les réseaux, qui a été livré au début de l'année 2017.
Mener l’enquête
Les recherches historiques
Au début du 21e siècle, les recherches et les essais portant sur les enduits des murs du Potager du Roi s'étaient concentrés sur l'utilisation de différents mélanges à base de chaux. Il s'agissait de respecter l'histoire à travers des matériaux présents et utilisés sur le site aux 17e et 18e siècles avec, en principe, une durée dans le temps supérieure au plâtre. Revenons rapidement sur cette question.
Jean-Baptiste de La Quintinie, concepteur et premier jardinier du Potager du Roi, préconise clairement l'utilisation du plâtre comme enduit : « on ne saurait avoir trop de précaution pour faire bien crépir les murailles, ou pour les faire enduire de plâtre, quand on en a la facilité telle, qu'elle est aux environs de Paris ; car enfin il faut empêcher qu'il ne reste nulle part de ces petits trous où se nichent les rats, les mulots, les laires, les colimaçons, les perce-oreilles, & les autres insectes qui désolent les fruits... » (Instructions pour les jardins fruitiers et potagers, tome 2, p. 264).
Les comptes des bâtiments du Roi sous le règne de Louis XIV indiquent surtout une utilisation de plâtre dans le cadre de moulages (de statues et de corniches) ou de réparations de cheminées ou de planchers, mais aussi des mentions qui concernent des murs.
Parmi les documents conservés aux Archives nationales de la Maison du Roi pour l'Ancien régime et ceux des administrations de l'État depuis la Révolution, il est possible de noter des changements de pratiques concernant les murs.
Si, tout au long de l'histoire du site, c'est un mortier de chaux et de sable qui est utilisé pour monter les murs, les crépis ou enduits ne sont pas toujours identiques. À la fin du 17e siècle et dans le courant du 18e siècle, ce sont des enduits de plâtre, avec, à ce stade des recherches, une exception : dans un extrait de la dépense en 1714, il est noté « Crépir en chaux le mur de tous les couchants des jardins biais ou les crépis de plâtre est tombé » (AN / O 1 / 1840 / liasse 3). En 1772, l'inspecteur-architecte Trouard note que « la plus grande part des murs du Potager sont dans le plus méchant état, les chaperons étant presque tous tombés, et les crépis n'existant plus, ce qui occasionne un dégât affreux ... » (AN / O 1 1072 / p. 396).
Et, en 1785, quand finalement des grands travaux sont en cours de réalisation, il est noté : « on se dispose à crépir les murs avec du sable de rivière et de la chaux vive pour éviter de recommencer souvent ».
En 1786, les sources insistent : « Tous les murs reconstruits les années dernières ont été crépis avec sable de rivière et chaux vive » (AN/ O 1 / 1838/1 p. 138).
Par contre, à la fin du 19e siècle, les réparations et les restaurations sont de nouveau réalisées au plâtre (voir, par exemple, en 1888, AN / F 21 / 2427).
Au 20e siècle, probablement à partir de la période de l'entre-deux guerres et jusque dans les années 1970-1980, les enduits ont été réalisés au ciment ainsi que les réparations ponctuelles des murs et des passages parfois avec du béton armé.
En 2020, un mur sur quatre du Potager du Roi (hors bâtiments) est recouvert tout au moins partiellement d'un enduit ciment.
La consultations d’experts
Pour le maître d'ouvrage qu'est l'École nationale supérieure de paysage et pour le maître d'œuvre qu'est l'Architecte en chef des Monuments historiques, il est primordial de confronter ces éléments avec des expertises extérieures.
En juin 2019, à l’occasion de l’événement Watch Days - Révisez votre potager, l’École nationale supérieure de paysage a ainsi invité :
- Jean Ducasse-Lapeyrusse, ingénieur recherche, Cercle des partenaires du patrimoine et Laboratoire de recherche des monuments historiques ;
- Vincent Farion, responsable du Musée du plâtre, Cormeilles en Parisis (95) ;
- Annick Heitzmann, chargée de recherche en archéologie, Direction du patrimoine et des jardins, château de Versailles (78) ;
- Ivan Lafarge, archéologue - Conseil départemental de Seine Saint Denis (93), chercheur associé à l’équipe d’histoire des techniques IHMC-UMR 8066, enseignant ;
- Frédéric Sichet, Agence Patrimoine & paysages, spécialiste de la restauration des jardins historiques ;
- Véronique Vergès-Belmin, ingénieure de recherche, Laboratoire de recherche des monuments historiques ;
- Frédéric Charpentier, Ateliers ACOM Architectures, associé à l’entreprise Vieujot, fabricant de plâtre dans une plâtrière datant du 18e siècle ;
- Georges Barthe, conservateur-restaurateur du patrimoine, président du GRPA (Groupement de recherche sur le plâtre dans l’art).
Ces personnalités présentent une expertise professionnelle sur des murs comparables à ceux du Potager du Roi. Deux visites, réalisées en présence du public, ont donné lieu à un ensemble de discussions (voir Annexe), qu’il est possible de résumer de la façon suivante :
- Les murs du Potager du Roi sont de trois types : mur de clôture, mur de soutènement et mur à palisser (dit aussi à mûrissement). Ils peuvent jouer plusieurs fonctions à la fois auquel cas les caractéristiques techniques peuvent rentrer en contradiction. Les murs des bâtiments sont encore d'un autre type.
- Un mur à palisser est un objet technique horticole qui sert à la culture d'arbres fruitiers pour la production de fruits. Sa technique de construction le distingue des murs de clôture et de soutènement. Une partie de son efficacité dépend de l'utilisation d'un enduit qui « respire », qui permet des échanges relativement rapides avec son environnement. Ce statut d'objet technique est acquis au 18e siècle et donc après la construction du Potager du Roi (à partir de 1678).
- Des mortiers du 18e siècle sont présents et il est possible que des enduits de la même période aussi. Il est surtout possible d'observer les enduits de plâtre du 19e siècle, les enduits de ciment du 20e siècle et les enduits plâtre-chaux du 21e siècle.
- Le fait de teinter l'enduit dans la masse et d'y ajouter de la brique pilée n'est présent que dans les restaurations du 21e siècle.
- Les dernières restaurations cherchent à donner l'aspect visuel d'un enduit de plâtre malgré l'utilisation de chaux, en particulier à travers la présence de « pétards » de chaux et des éclats de charbon de bois
- Les experts divergent sur certains points. Certains défendent l'idée qu'avec très peu d'entretien un enduit extérieur de plâtre peut tenir aussi longtemps qu'un enduit de sable-chaux. D'autres en sont moins convaincus. Tous s’accordent sur le fait qu'un enduit à base de chaux aérienne peut « respirer » mais moins qu'un enduit à base de plâtre et, surtout, que les enduits à base d'un liant hydraulique (chaux hydraulique ou ciment) ne le peuvent pas.
- L'observation des arbres fruitiers palissés du Potager du Roi témoigne que si cette capacité de « respirer » est une caractéristique notable des murs à palisser, elle n'est pas d'une nécessité absolue pour la bonne conduite des arbres. Il est possible de cultiver de beaux sujets sur des murs avec des enduits en ciment.
Les études scientifiques
Deux études techniques des enduits ont été réalisées au Potager du Roi.
La première a été réalisée en 2013 et 2014 dans le cadre d'un partenariat avec Gérald Mc Nichols-Tétreault, architecte québécois, responsable de la restauration du Séminaire de Saint-Sulpice à Montréal et de son jardin fruitier, créé dans les années 1680. Cette étude a été réalisée sur neuf échantillons à partir d'observations visuelles sous microscope et par tomographie (avec un tomodensitomètre Siemens). Cette approche évalue la qualité d'un enduit ou mortier par rapport à son homogénéité, son caractère lié ou liant et permet d'identifier des composants.
Les deux échantillons d’enduits prélevés sur des murs, qui n’ont pas été restaurés récemment et supposés être au moins centenaires (selon la présence des trous carrés mentionnés ci-dessus ou par la présence d’une étiquette en plomb), présentent une homogénéité et un liant jugé supérieur à deux échantillons prélevés sur un mur restauré en 2006-2007. Les deux échantillons « anciens » sont les deux qui présentent le taux le plus bas d’aragonite, un indicateur de la présence de chaux. Du gypse, indicateur de la présence de plâtre, est présent dans tous les échantillons sauf pour ceux qui sont des enduits ciment.
Cette étude confirme que des enduits à base de plâtre figurent parmi les plus anciens du site et qu’ils présentent une meilleure tenue que ceux utilisés sur certaines restaurations récentes.
La deuxième étude a été réalisée en 2020 par le CIRAM (Laboratoire d'analyse pour les objets d'art et le patrimoine culturel) à la demande de l'École nationale supérieure de paysage et de l'Architecte en chef des Monuments historiques pour avancer sur la voie de la datation physique de certains enduits et mortiers tout en identifiant les compositions. Après repérage par l’École nationale supérieure de paysage et l’ACMH des enduits et mortiers pressentis comme faisant partie des plus anciens, le CIRAM a prélevé douze échantillons, qui couvrent une période allant de la fin du 18e siècle au début du 20e siècle. Les enduits qui ont été analysés sont tous relativement anciens et tous sont constitué de plâtre.
Un des échantillons s’est révélé nettement plus ancien que les autres, c’est-à-dire, avant le milieu du 17e siècle. Les auteurs du CIRAM commentent ce résultat ainsi : « Comme nous datons des charbons de bois, ce résultat pourrait provenir d’un effet de vieux bois. La datation radiocarbone concerne la mort des cellules de bois du prélèvement. Ce prélèvement peut provenir du cœur ou de l’aubier de l’arbre. Entre la formation du cœur et celle de l’aubier, il peut y avoir plusieurs dizaines d’années de différence, voire plusieurs siècles ».
Utilisé dans les fours à plâtre, et même si des troncs ont pu être stockés un long moment ou si certains troncs provenaient d’arbres particulièrement âgés, le fait de retrouver des bouts de bois qui datent d’avant 1800 dans tous les échantillons indique la présence d’un plâtre relativement ancien sur le site. Il existe encore des enduits ayant pu être mis en œuvre à la fin du 18e siècle mais la majorité des enduits en plâtre qu’on retrouve sur le site ont été réalisés au cours du 19e siècle.
Pour ce qui concerne les compositions, dix enduits échantillonnés étaient au plâtre tandis que les deux échantillons de mortiers étaient à la chaux (entre 10 et 20 % de chaux hydraulique et 80 à 90 % d’agrégat de quartz).
Un élément notable est la présence de matériel organique qui n’est pas du bois dans quatre échantillons différents d’enduits. Est-ce qu’un ajout de chiffons ou de poils d’animaux était réalisé ? Auquel cas, pourquoi ?