Projets travaux des chaires : Nouveaux atomes au seuil d'un paysage à bascule

Genèse d’une nouvelle piscine nucléaire à La Hague

Le projet d'une nouvelle piscine d'entreposage des matières radioactives dans la partie ouest du centre de retraitement des matières radioactives de La Hague soulève de nouvelles interrogations.

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Contexte

Le projet d’une nouvelle piscine d’entreposage des matières radioactives dans la partie Ouest du site d’Orano à La Hague voit le jour répondant à la demande pressante de capacité complémentaire de stockage des combustibles usés MOx1 dans l’optique d’une valorisation au long terme. Pour ce projet, EDF a saisi la commission nationale de débat public afin de décider du mode de participation du public choisi : la concertation préalable. EDF, souhaite explorer des pistes possibles, au travers de ces deux questions :

  • quels partis pris architecturaux et paysagers privilégier, en conciliant les contraintes inhérentes à un projet industriel nucléaire (sécurité et sûreté notamment) avec une volonté d’insertion paysagère ?
  • comment faciliter l’expression du public à ce sujet, dans la phase de concertation préalable, en identifiant les options réalistes et en les donnant à voir pour en faire des supports au dialogue ?

Cette approche par le paysage s’effectue en amont d’une étude architecturale.

Enjeux

Le centre de retraitement des matières radioactives de La Hague, Orano, s’est implanté dans la presqu’île du Cotentin dans les années 1960. La qualité des sous-sol les plus anciens de France (roche icartienne), la proximité d’une source froide, l’isolement du territoires profitèrent alors à son implantation. Par son arrivée, l’usine sommitale, d’une superficie de 300 hectares, a profondément changé le visage des paysages haguais. Le discret paysage bâti par les vents, de bocage en arrière-pays, offrant des échappées sur la mer et ses littoraux escarpés s’hybrida avec celui de l’industrie atomique de pointe. Avec elle, l’urbanisme du territoire changea, pour accueillir la main d’œuvre nécessaire, et réaliser ce que l’on nomma « Le Grand Chantier ». Une interdépendance est née, entre le territoire manchois, ses populations et l’atome.

S’appuyer sur les structures et opportunités

L’enjeu de l’insertion de la piscine est en partie de participer à un dialogue entre infrastructure nucléaire et territoire quasi-absent aujourd’hui, pour nourrir les réflexions d’identité territoriale. L’identité hybride, nouvelle d’un siècle pour le Cotentin, se doit d’être apprivoisée par ses riverains dans une idée d’évolution.

Une boîte à outils est formée à partir des structures paysagères du territoire ainsi que des opportunités liées aux dynamiques en cours (exemple : trame bocagère et mise en perspective, points de vue nord sur la crête, réseaux pédestres, etc.). Ensemble, ces outils dessinent les prémisses d’une esquisse, d’une intention de projet pour l’insertion paysagère de la piscine, vers une reconnaissance de l’identité hybride du territoire haguais.

Un territoire centrifugé, hybridé, en quête d'identité

Trois entités paysagères se distinguent au sein de la presqu’île et entretiennent des liens intimes au nucléaire.

Les littoraux déchiquetés et protégés par le Conservatoire du littoral, de la côte Ouest et Nord-ouest, par leur morphologie d’écrans topographiques interposés, ont permis une cécité paysagère du paysage d’Orano. L’arrière-pays rural tramé de bocages, accueille l’installation nucléaire Orano, anciennement Cogéma, et enfin l’immense baie et les dunes de Biville, qui offrent des perspectives sur le cap de Flamanville et sa centrale nucléaire.

Aujourd’hui, le territoire est vécu par ses bords principalement, regards vers les lointains rivages, pays des rêves, le long des nombreux points de vue qui les ponctuent, de la route des Cap, des sites touristiques, ou encore du sentier des douaniers. L’arrière-pays est quant à lui, comme tout territoire littoral, soumis à un effet centrifuge, accentué par la présence de l’usine avec laquelle les habitants entretiennent un rapport de « cécité paysagère », par la promiscuité avec l’infrastructure. L’arrivée de la piscine EDF pourrait participer de l’invention d’un paysage de nucléaire. Par ailleurs, les collectivités locales sont investies dans des démarches de labellisations, celle de Grand Site de France et celle de Géoparc mondial Unesco, pour faire valoir ces paysages d’exception, protéger ce territoire fragile à fort attrait touristique et asseoir l’identité de la presqu’île. Ces démarches sont une opportunité pour EDF d’accompagner l’élan territorial et d’inventer de nouvelles formes de paysage nucléaire adaptées à son territoire d’accueil.

Projet

L'expression vive et projectuelle de Margaux Fouquet, accompagnée par le paysagiste Philippe Hilaire, apporte aux acteurs d'EDF deux scénarios d'insertion paysagère, portés à la connaissance de la Commission nationale du débat public.

Une figure paysagère axe du projet : la bascule de Jobourg comme seuil d'entrée

La boîte à outils constituée permet de déceler une figure paysagère du territoire ayant pour objectif de faire ressentir l’identité du territoire. « La bascule de Jobourg » est ainsi ciblée comme seuil de franchissement entre deux paysages constitutifs d’une même entité, le paysage monumental nucléaire et le paysage rural, discret, de l’arrière-pays hagard. Cette bascule est une section de territoire localisée entre le « rond-point des chèvres » de la D 901 et le petit village de Jobourg. Un glissement topographique l’accompagne puisqu’elle marque la fin de la crête. Ce passage est charnière par les différentes échelles de ses constituants. Il permet de vivre l’expérience du seuil identitaire de la Hague.

L’axe de projet s’appuie donc sur ce point d’attention, au cœur de la figure paysagère dessinée. Cette figure assemble les éléments structurants modifiables pouvant servir l’enjeu d’insertion paysagère de la piscine, qui se situe au centre de ce point d’attention. Cette figure montre les marges de manœuvre possibles pour répondre à la demande formulée par EDF. Deux faces avec des traitements distincts, composent cette figure, en donnent les orientations :

  • la face sud, offre peu de recul sur l’emprise industrielle de la crête qui semble alors prendre le pas sur la partie de paysage plus rurale ; l’insertion de la piscine depuis cette face doit se faire avec plus de douceur, en tentant au maximum de ne pas alourdir la crête ;
  • la face nord, depuis les monts de Digulleville, laisse entrevoir la crête nucléaire avec un recul suffisant pour une mise en valeur mutuelle du patrimoine rural et industriel ; cette façade du site EDF peut être pensée avec plus d’aplomb et de monumentalité pour servir l’identité du territoire depuis le grand territoire.

Au seuil, deux scénarios d’insertion paysagère

La minimisation de la présence des bâtiments

Le franchissement du seuil s’effectue au rond-point des chèvres, avant l’entrée dans le Bourg, au niveau de la piscine EDF. Par des jeux de mouvements de terres excavées, associés à un alignement face nord et à du bocage, la présence de l’ouvrage depuis le village est amoindrie. Des jeux sur les teintes permettent aussi d’aller en ce sens, s’associant à des volumes bâtis des bâtiments tertiaires notamment, discrets et sobres en accord avec les matériaux du territoire.

La mise en valeur de la présence des bâtiments

Le franchissement du seuil s’effectue jusqu’au bourg de Jobourg. Un alignement face sud accompagne les perspectives offertes par la route sur l’ouvrage depuis la sortie du Bourg. Cet alignement permet une mise à distance des maisons longeant la D 901 de la Cité Bel air. Les teintes choisies sont plus colorées, faisant ressortir l’ouvrage dans ce paysage feutré. Une teinte est ajoutée différenciant Orano d’EDF. L’ouvrage est massif sur la façade nord, jouant avec les profondeurs.

Les deux scénarios s’inscrivent dans un projet à grande échelle pour faire entrevoir le seuil identitaire par ce fragment d’aménagement. La crête sera nécessairement modifiée, un équilibre est à trouver depuis les monts du Nord. L’ensemble des manœuvres à l‘échelle du territoire demande une consultation du projet par les collectivités locales, telles que la piste cyclable reliant Jobourg à Beaumont-la-Hague, l’aménagement de points de vue nord supplémentaire,s leur mise en relation avec les chemins pédestres existants, l’accueil de public au sein du site ou dans un site intermédiaire pour participer à la pédagogie du territoire etc. Ces démarches pourraient alimenter les perspectives territoriales (Unesco, Grand site) vers un développement durable du tourisme, mais aussi du cadre de vie des habitant.e.s de La Hague.

La concertation animée sur le territoire, depuis novembre 2021, s’avère sensible avec la création de l’association « Piscine nucléaire stop » et rappelle plus que jamais la portée démocratique du paysage énergétique. La poursuite de la conception du projet, après cette concertation qui est un premier pas, pourrait être la constitution d’une équipe pluridisciplinaire des professions liées à la conception (architectes, paysagistes, coloristes...), bénéficiant d’un temps de réflexion suffisant pour instaurer un dialogue laissant entrevoir une cohabitation

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