Publications Article : Jeudi 22 octobre 2020

Carnet de bord du Potager

Retrouvez l'actualité du jardin commentée par Antoine Jacobsohn.

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Les murs à palisser du Potager du Roi : faire le point, hiver 2020-2021

Constat sur les restaurations récentes et projets en cours

En ce début d'hiver 2020, et avec l'ambition de le terminer avant fin 2021 si les conditions météorologiques et sanitaires le permettent, l'École nationale supérieure de paysage s'apprête à restaurer plus de 770 mètres linéaires de façade de mur, représentant presque 2400 m2 de superficie. En un an, ce n'est pas loin du double de ce qui avait été restauré sur la totalité de la période de 2000 à 2010. Mais c'est toujours peu par rapport aux 4900 mètres linéaires de façade (hors bâtiments) et le plus d'un hectare et demi que ce linéaire représente en superficie à entretenir.

Cette campagne de restauration vient après une période de recherches, de consultations, d'études et aussi d'essais.

En ce début d'hiver 2020, l'École termine avec succès la restauration de 136 mètres linéaires de façade pour une superficie de 434 m2, avec une nouveauté, l'utilisation traditionnelle de plâtre de la région parisienne pour les enduits et l'utilisation innovante de chaux en injection.

Les recherches, consultations, études et essais viennent après plusieurs constats.

  •  Un certain nombre d'enduits centenaires du Potager du Roi tiennent relativement bien.

L'âge est estimé tout à la fois par rapport à la présence de trous carrés indiquant une pratique de palissage à la loque correspondant à des photos datant des alentours de 1900. Des sources d'archives n'indiquent pas de travaux majeurs sur les murs concernés depuis la fin du 2e Empire ou le début de la 3e République ainsi que l'âge des arbres encore présents.

  •  La quasi-totalité des murs dont les enduits ont été restaurés entre 2000 et 2007 présentent déjà des désordres très conséquents : cloques, érosions, fissures, lacunes.

 A été principalement utilisé du « MPC », ou mortier plâtre-chaux, y compris pour les enduits, mais alors avec des pétards de chaux, des miettes de charbon et de la brique pilée. Les pétards de chaux c'est principalement pour donner une texture moins lisse. La présence de charbon est un artefact de la fabrication du plâtre et de la chaux, car ce sont des matériaux qui traditionnellement proviennent de fours fonctionnant au bois. Il semble que cette présence à un effet assainissant par rapport aux algues, lichens ou mousses.

La brique pilée semble avoir été choisie pour sa couleur et peut-être pour sa capacité d'absorber de la chaleur. De 2000 et jusqu'en 2007, les enduits ont été teintée dans la masse, ocre avec une tendance vers l'orange.

Selon les murs concernés un certain nombre d’hypothèses ont été émises pour rendre compte de la rapidité de l’apparition de désordres :

  • défaut de fabrication ou évolution des matériaux (y compris effets de pollution),
  • défauts de la malaxation (trop court ou trop long),
  • défauts d'applications (par temps trop humide et/ou trop froid),
  • côtoiement de matériaux de types différents (hydraulique et non ;
  • ciment, chaux hydraulique ou aérienne, plâtre, résine, ...),
  • défauts des joints de la couverture ou faîtière,
  • le fait de restaurer qu'un côté d'un mur et non les deux,
  • l'absence ponctuelle de barbacanes, etc..

 Il est possible que pour chaque mur se soit une combinaison différente de plusieurs de ces hypothèses.

L'objectif n'est pas de produire des preuves dans un sens ou dans un autre mais mettre en place une démarche qui aboutisse à des réalisations durables et respectueuses de l'histoire du site. C'est ce que l'Architecte en chef des monuments historiques à proposer dans le Programme d'interventions sur les ouvrages maçonnés et les réseaux commandé par l'Ecole nationale supérieure de paysage en 2015 et livré au début de l'année 2017.

Les recherches historiques

Au début du 21e siècle, les recherches et les essais pour les enduits des murs du Potager du Roi s'étaient concentrés sur l'utilisation de différents mélanges à base de chaux. Il s'agissait de respecter l'histoire à travers des matériaux présents et utilisés sur le site au 17e et 18e siècles mais qui possédait, en principe, une durée dans le temps supérieure au plâtre. Revenons rapidement sur cette question.

Jean-Baptiste de La Quintinie, concepteur et premier jardinier du Potager du Roi préconise clairement l'utilisation du plâtre comme enduit : « on ne saurait avoir trop de précaution pour faire bien crépir les murailles, ou pour les faire enduire de plâtre, quand on en a la facilité telle, qu'elle est aux environs de Paris ; car enfin il faut empêcher qu'il ne reste nulle part de ces petits trous où se nichent les rats, les mulots, les laires, les colimaçons, les perce-oreilles , & les autres insectes qui désolent les fruits... » (Instruction, t2 p264).

Les comptes des bâtiments du Roi sous le règne de Louis XIV indiquent surtout une utilisation de plâtre dans le cadre de moulages (de statues et de corniches) ou de réparations de cheminées ou de planchers, mais aussi des mentions qui concernent des murs.

Parmi les documents conservés aux Archives nationales de la Maison du Roi pour l'Ancien régime et ceux des administrations de l'Etat depuis la Révolution, il est possible de noter des changements de pratiques concernant les murs.

Si tout au long de l'histoire du site, c'est un mortier de chaux et de sable qui est utilisé pour monter les murs, les crépis ou enduits ne sont pas toujours identiques. A la fin du 17e et dans le courant du 18e siècle ce sont des enduits de plâtre, avec, à ce stade des recherches, une exception : dans un extrait de la dépense en 1714, il est noté « Crépir en chaux le mur de tous les couchants des jardins biais ou les crépis de plâtre est tombé » (AN / O 1 / 1840 / liasse 3). En 1772, l'inspecteur-architecte Trouard note que « la plus grande part des murs du Potager sont dans le plus méchant état, les chaprons étant presque tous tombés, et les crépis n'existant plus, ce qui occasionne un dégât affreux ... » (AN / O 1 1072 / p. 396).

Et en 1785, quand finalement des grands travaux sont en cours de réalisation, il est noté : « on se dispose à crépir les murs avec du sable de rivière et de la chaux vive pour éviter de recommencer souvent ».

En 1786, les sources insistent : « Tous les murs reconstruits les années dernières ont été crépis avec sable de rivière et chaux vive » (AN/ O 1 / 1838/1 p. 138).

Par contre, à la fin du 19e siècle, les réparations et les restaurations sont de nouveau réalisés au plâtre (voir, par exemple, en 1888, AN / F 21 / 2427).

Au 20e siècle, probablement à partir de la période de l'entre-deux guerres et jusque dans les années 1970 ou 80, les enduits ont été réalisés au ciment ainsi que les réparations ponctuelles des murs et des passages parfois avec du béton armé.

En 2020, un mur sur quatre du Potager du Roi (hors bâtiments) est recouvert tout au moins partiellement d'un enduit ciment.

Les consultations

Pour le maître d'ouvrage qu'est l'Ecole nationale supérieure de paysage et pour le maître d'œuvre qu'est l'Architecte en chef des monuments historiques, il est primordiale de consulter des experts.

En juin 2019, dans le cadre de notre événement annuel, Révisez votre potager, nous avons invité un groupe de 8 personnes experts. Ce sont des personnes ayant eu une expérience conséquente dans le cadre de leur travail professionnel avec des murs un tant soit peu similaires à ceux du Potager du Roi. Nous avons fait deux visites de deux heures en présence du public de l'événement.

Il est possible de résumer les discussions de la façon suivante :

  •  Les murs du jardin du Potager du Roi sont de trois types : mur de clôture, mur de soutènement et mur à palisser (dit aussi à mûrissement). Ils peuvent jouer plusieurs fonctions à la fois mais alors les caractéristiques techniques peuvent rentrer en contradiction. Les murs des bâtiments sont encore d'un autre type.
  •  Un mur à palisser est un objet technique horticole qui sert à la culture d'arbres fruitiers pour la production de fruits. Sa technique de construction le distingue des murs de clôture et de soutènement. Une partie de son efficacité dépend de l'utilisation d'un enduit qui « respire », qui permet des échanges relativement rapides avec son environnement. Ce statut d'objet technique est acquis au 18e siècle et donc après la construction du Potager du Roi (à partir de 1678).
  •  Des mortiers du 18e siècle sont présents et il est possible que des enduits de la même période aussi. Il est surtout possible d'observer les enduits de plâtre du 19e siècle, les enduits de ciment du 20e siècle et les enduits plâtre-chaux du 21e siècle.
  •   Le fait de teinter l'enduit dans la masse et d'y ajouter de la brique pilée n'est présent que dans les restaurations du 21e siècle.
  •   Les dernières restaurations cherchent à donner l'aspect visuel d'un enduit de plâtre malgré l'utilisation de chaux, en particulier à travers la présence de « pétards » de chaux et des éclats de charbon de bois
  •  Les experts n'étaient pas toujours d'accord entre eux. Certains défendaient l'idée qu'avec très peu d'entretien supplémentaire, un enduit extérieur de plâtre pouvaient tenir aussi longtemps qu'un enduit de sable-chaux. D'autres étaient moins surs. Tous étaient d'accords qu'un enduit à base de chaux aérien pouvait « respirer » mais moins qu'un enduit à base de plâtre et surtout, que les enduits à base d'un liant hydraulique (chaux hydraulique ou ciment) ne le pouvaient pas.
  •  L'observation des arbres fruitiers palissés du Potager du Roi témoignent que si cette capacité de « respirer » est une caractéristique notable des murs à palisser, il n'est pas d'une nécessité absolue pour la bonne conduite des arbres. Il est possible de cultiver des beaux sujets sur des murs avec des enduits ciments.

Les études commandées

Deux études techniques des enduits ont été réalisés.

La première a été réalisée en 2013 et 2014 dans le cadre d'un partenariat avec Gérald McNichols-Tétreault, l'architecte québécois, responsable de la restauration du Séminaire de Saint-Sulpice à Montréal et de son jardin fruitier, créé dans les années 1680.

Cette étude a été réalisée sur neuf échantillons à partir d'observations visuelles sous microscope et par tomographie (avec un tomodensitomètre Siemens).  

Cette approche évalue la qualité d'un enduit ou mortier par rapport à son homogénéité, son caractère lié ou liant et permet d'identifier des composants.

Deux échantillons d’enduits prélevés sur des murs qui n’ont pas été restaurés récemment et supposés être au moins centenaires (selon la présence de trous carrés mentionnés ci-dessus ou par la présence d’une étiquette en plomb), ont une homogénéité et un liant jugé supérieur à deux échantillons pris sur un mur restauré en 2006-2007.

Les deux échantillons « anciens » sont les deux qui présente le taux le plus bas d’aragonite, un indicateur de la présence de chaux. Du gypse, indicateur de la présence de plâtre, est présent dans tous les échantillons sauf pour ceux qui sont des enduits ciment. Cette étude tend à montrer que des enduits à base de plâtre sont parmi les plus anciens du site et que ces enduits ont encore une meilleure tenue que certaines restaurations récentes.
 
La deuxième étude a été réalisé par le CIRAM (Laboratoire d'analyse pour les objets d'art et le patrimoine culturel) à la demande de l'Ecole nationale supérieure de paysage et de l'Architecte en chef des monuments historiques pour avancer sur la voie de la datation physique de certains enduits et mortiers tout en identifiant les compositions.

Après repérage par l’Ecole nationale supérieure de paysage et de l’ACMH des enduits et mortiers avec un potentiel d’être parmi les plus anciens, c’est le CIRAM qui a prélevé les douze échantillons.

Les résultats donnent un éventail entre la fin du 18e siècle et le début du 20e siècle.

Les enduits qui ont été analysés sont tous relativement anciens et tous sont constitué de plâtre.

La figure 2 du rapport donne les résultats.

Un des échantillons donne des résultats nettement plus anciens que les autres, c’est-à-dire, avant le milieu du 17e siècle. Les auteurs du CIRAM commentent ce résultat ainsi : « Comme nous datons des charbons de bois, ce résultat pourrait provenir d’un effet de vieux bois. La datation radiocarbone concerne la mort des cellules de bois du prélèvement. Ce prélèvement peut provenir du cœur ou de l’aubier de l’arbre. Entre la formation du cœur et celle de l’aubier, il peut y avoir plusieurs dizaines d’années de différence, voire plusieurs siècles » (p5).

Utilisé dans les fours à plâtre, et même si des troncs ont pu être stockés un long moment ou si certains troncs provenaient d’arbres particulièrement âgés, le fait de retrouver des bouts de bois qui datent d’avant 1800 dans tous les échantillons pointent vers des plâtres relativement anciens, certains ayant pu être mise en œuvre à la fin du 18e siècle et la majorité des autres au cours du 19e siècle.

Pour ce qui concerne les compositions, les dix enduits échantillonnés étaient au plâtre tandis que les deux échantillons de mortiers étaient à la chaux (entre 10 et 20 % de chaux hydraulique et 80 à 90 % d’agrégat de quartz). Un élément notable est la présence de matériel organique qui n’est pas du bois dans 4 échantillons différents d’enduits. Est-ce qu’il y avait un ajout de chiffons ou de poils d’animaux, et si oui, pourquoi ?

Restauration d’un mur de refend à palisser.

C'est au printemps 2015 que s'est effondré un pan du mur entre le jardin Du Breuil au nord et le jardin Legendre au sud. Dans notre système de numérotation il s'agit du M15.
 
Au milieu du 20e siècle, de nombreuses réparations et enduits des murs ont été réalisés avec du ciment. Ce liant, imperméable à l'air et à l'eau, empêche donc la structure du mur de respirer.

Les réparations faites par le passé au ciment deviennent aujourd'hui des points de fragilité à surveiller (un mur sur quatre du Potager du Roi possède des réparations ou des enduits au ciment).

Dans le cas du « M15 », comme d'autres murs du site, la différence d'enduits entre les deux faces du mur, ciment d'un côté, plâtre et chaux de l'autre, a généré en secret une hernie à l'intérieur du mur. Cette hernie est devenue un décollement plus général ; un « ventre ». Un pan de mur entier s'est finalement effondré laissant une autre partie debout mais fragile.

Avec le soutien de American Express et du World Monuments Fund, les travaux de remontage et de restauration ont commencé en septembre 2019.

Un mortier de chaux a été retenu pour la consolidation et le remontage intérieur du mur et permet de maintenir sa perméabilité, sa « respiration ».

Le pan effondré est rebâti avec ses propres pierres et ce mortier. Pour conserver et ne pas défaire la structure intérieure de la partie du mur restée sur pied, il est décidé de procéder à des injections de chaux liquide, en notant bien les endroits qui en absorbent plus. C'est une manière de repérer les sections où des hernies pourraient exister et qui seraient alors plus fragiles.

Il est décidé de pratiquer une rétro-innovation pour ce qui concerne les enduits.

Philippe Bertone, un artisan-maçon du patrimoine, spécialiste du plâtre extérieur, a accepté de relever le défi de travailler sur les enduits en plâtre pour le Potager du Roi. Philippe Bertone et sa société, les ateliers du paysage, avaient déjà travaillé sur d'autres murs à palisser, en particulier, à Montreuil-sous-Bois (93). Il existe un certain nombre de similarités entre les murs des deux sites, mais la structure intérieure des murs en meulière du Potager du Roi et la finition des enduits ne sont pas strictement semblables.

Pour ce projet, Philippe Bertone n'a pas travaillé avec du plâtre qu'il a fabriqué lui-même dans les Alpes de Haute Provence, mais avec un mélange de différents plâtres en provenance de Vieujot, un fabricant de plâtre basée dans la vallée de Montmorency en région parisienne. Un fabricant qui extrait son gypse d'une carrière en activité depuis le 18e siècle.

Après les essais par Philippe Bertone et les discussions avec l'Ecole nationale supérieure de paysage et l'ACMH pour trouver les bonnes formulations, l'équipe s'est mise au travail. Parmi les maçons-plâtrier sur le chantier, il y avait des connaisseurs, travaillant régulièrement à Montreuil-sous-Bois et ayant déjà fait des visites au Potager du Roi.

Maintenant il faut remettre en place les supports métalliques de palissage. Surtout, avant de pouvoir replanter et former des arbres fruitiers en espalier, il faut un temps de remise en vie du sol par la culture d'engrais verts.

Il faut patiemment trouver les solutions à l'accumulation des poussières et autres matériaux du chantier ainsi qu'au tassement par piétinement des ouvriers et la longue présence des échafaudages, pour que les arbres soient dans des bonnes conditions pour une vie aussi productive et saine que possible. Observera-t-on une différence de vigueur, de production, de résistance aux maladies et aux ravageurs, ici ou ailleurs dans le Potager du Roi, selon la technique de restauration utilisée sur le mur support ? Comment va vieillir le mur et son enduit en plâtre ? Nous avons encore des recherches à faire, des consultations à mener, des études spécifiques à commander, mais les prochaines restaurations, celles qui commencent cet hiver, auront profité du travail pour correctement reconstruire le M15.