Publications Nashi
:Spécial Potager du Roi
Le Nashi de novembre 2019
Carnet de bord du Potager
Publié le
Nous rentrons progressivement en hiver. La température moyenne baisse tandis que les écarts entre les minimales et maximales diminuent. Les 15 et 16 novembre dernier, l’écart de température entre le jour et la nuit était ainsi de seulement 3 à 4° Celsius, tandis qu’autour du 11 novembre nous avions des différences allant jusqu’à 18° Celsius. Depuis plusieurs jours, à l’aube, un brouillard descend des coteaux de Satory et recouvre le creux dans lequel se trouve le Potager du Roi, puis, avec le lever du soleil, il remonte la côte.
La structure du jardin se révèle différente l'hiver. Pour certains, elle se présente plus comme un plan ou une partition qu'il faut déchiffrer qu'un tableau facile à contempler. La visite peut sembler moins plaisante avec le froid. Pour autant, la lumière de l'hiver accentue les couleurs profondes et nuancées des écorces des arbres et les lignes du jardin sont plus tracées puisque moins atténuées par les feuillages qui bruissent.
Grâce au soutien des 400 donateurs de la première campagne d'appel à dons mon potager, c'est le Potager du Roi, l'École nationale supérieure de paysage a pu lancer, entre juin et octobre 2021, une première tranche de travaux pour trois lignes de palissage. Trois armatures métalliques pour les palmettes Legendre du Grand Carré ont été démontées et transportées pour être restaurées par la Forge d’Art Loubière, entreprise du patrimoine vivant située dans le Maine-et-Loire, qui intervient sous les directives de l’Architecte en chef des Monuments historiques.
Les jardiniers vont d'abord cultiver des plantes aux pieds des armatures pour stabiliser et revitaliser le sol après travaux. Des poiriers seront replantés à l'hiver 2022-2023 et, lentement, des palmettes Legendre s'appuieront sur les armatures. Ces palmettes à cinq niveaux de branches horizontales de la même longueur sont aujourd'hui un emblème du Potager du Roi.
L'histoire de cette forme offre plusieurs surprises.
Plusieurs grands spécialistes en attribuent l'origine à Antoine Legendre, curé d'Hénouville en Normandie, et auteur de l'ouvrage La manière de cultiver les arbres fruitiers où il est traité des pépinières, des espaliers, des contre-espaliers, des arbres en buisson et à haute tige, publié en 1652. C'est le premier ouvrage qui propose cette typologie de formes :
En revanche, la lecture de cet ouvrage n'offre pas la description des formes d'arbre qui ressemble à une palmette à branches horizontales. Les espaliers et contre-espaliers sont des éventails avec les branches distribuées comme les doigts de la main.
La première mention de l'attribution de cette forme à Antoine Legendre est faite dans l'ouvrage Cours théorique et pratique de la taille des arbres fruitiers de J.-B. d'Albret, publié en 1836.
Il écrivait « Taille en éventail à la Forsyth. Quelques personnes ont regardé cette taille comme de nouvelle invention, mais des recherches assez récentes prouvent, au contraire, qu'elle est très-anciennement connue, puisque Legendre, curé d'Henouville, en parle dans un traité publié, à Paris, en 1684. Lorsque j'étais jeune homme, mon père me fit une simple analyse de cette forme, et me dit que plusieurs de ses confrères la lui avaient décrite sous le nom de taille à la per omnia, par rapport aux branches charpentières placées horizontalement, à l'imitation du prêtre à l'autel, ayant les bras ouverts ; on lui a aussi donné, par erreur, divers autres noms, comme en éventail-candélabre étagé, en éventail-girandole étagé, et à la Dupetit-Thouars, etc. ».
Malgré la mention d'une transmission orale ancienne de la forme, le fait que le nom ne soit pas stabilisé et soit d'origine anglaise donne l'impression que la « forme » n'est pas bien connue.
Pour les personnes qui connaissent les poiriers en palmette Legendre du Potager du Roi, il y a une surprise supplémentaire puisque pour d'Albret cette forme « est exclusivement affectée pour les pêchers ».
Toutefois, William Forsyth dans Treatise on the culture and management of fruit trees, (1802 pour la 1e édition anglaise et 1804 pour la traduction en français) et C.R Fanon dans son ouvrage Des arbres à fruits, 1807 ne sont pas de cet avis.
En revanche, Alphonse Du Breuil, en 1846, est du même avis que d'Albret et confirme l'application exclusive de la conduite de branches horizontales superposées de même longueur aux pêchers.
Auguste-François Hardy, jardinier en chef du Potager du Roi dès 1848 et directeur de l'École nationale d'horticulture à partir de 1874, utilise un dessin de la forme à cinq niveaux appliqué à un pêcher dans les éditions successives de Traité de la taille des arbres fruitiers (voir par exemple la 8e édition de 1884).
À la lecture de ces différents textes, la réalisation avec des poiriers de palmettes horizontales avec des branches d'égale longueur (quel que soit le nombre de niveaux) ne semble pas être un phénomène régulier avant le dernier quart du XIXe siècle.
Ce que nous savons de l'histoire de la forme sur le site même du Potager du Roi confirme cette impression.
Selon les différentes sources manuscrites, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, ce sont des « buissons » ou des gobelets de poiriers qui entourent les carrés de cultures légumières du Grand Carré.
L'installation d'armatures pour contre-espaliers autour des carrés légumiers est pour la première fois proposée dans les années 1770, par l'architecte, prix de Rome, Louis-François Trouard.
Les armatures pour contre-espaliers semblent ensuite être installées pour tous les carrés seulement au milieu des années 1780. En revanche, cette installation ne présume pas la présence de palmettes Legendre ou même d'une autre forme de palmettes à branches horizontales. Les armatures doivent soutenir des treillages qui permettent d'y attacher les branches et créer une forme.
Depuis au moins le XVIIe siècle, les treillages sont en bois de chêne ou de châtaigner. Pour les contre-espaliers, ces treillages en bois n'ont ni la tenue dans le temps, ni la possibilité de supporter les mêmes types de torsions et poids que du fil de fer.
Selon les sources actuellement consultées, l'introduction du fil de fer pour les contre-espaliers du Potager du Roi date de 1818. Du fil de fer est en effet nécessaire pour supporter le poids des longues charpentières horizontales sur le long terme.
En 1869, quand William Robinson, un jardinier-écrivain anglais de renom, publie sa visite au Potager du Roi, il prend le temps d'affirmer que le site est uniquement un jardin dédié à la production culinaire. Il dévoue une bonne partie de son texte au beau et nouveau système de culture en espaliers des poiriers qui progressivement remplacera le grand nombre de vieux arbres décrépis.
Du côté des formes, Robinson remarque qu'Auguste Hardy privilégie les palmettes verticales de poiriers et fait l'éloge du système de cordons unilatéraux superposés de pommiers. Il fait une mention des formes de poiriers et de pêchers à cinq branches, en se référant aux charpentières des palmettes verticales et non à leurs cinq niveaux.
À la même époque, entre 1870 et 1871, la palmette Legendre ne figure pas parmi les dessins de formes fruitières du Potager du Roi réalisés par le jardinier Thibulle Devaux et, un an plus tard, par le jardinier Victor Oblet.
La vue à vol d'oiseau du site gravée par Rose et publiée en 1878 ne permet pas d'identifier cette forme fruitière comme présente autour des carrés du Grand Carré.
À cette date, les palmettes Legendre ne sont pas emblématiques du jardin et, encore dans les années 1880 et 1890, les différentes descriptions ne mettent pas en exergue les palmette du Grand Carré.
Aujourd'hui, nous conservons et transmettons ce savoir faire de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Les visiteurs et les jardiniers, les enseignants et les étudiants, semblent tous également apprécier la grâce des armatures, la fragilité des arbres en formation et la beauté imposante de ceux devenus vieux. Si nous apprécions la façon dont la palmette Legendre contribue à la vaste vue du Grand Carré, l'anime d'un mouvement horizontal en prolongement les lignes des terrasses et des allées, il est utile et agréable de rappeler que cette vue est, somme toute, récente.
Au sud du jardin, une partie du jardin Duhamel du Monceau a accueilli en novembre dernier la plantation de pommiers et poiriers qui participe de l'installation d'un pré-verger. Les arbres seront conduits en gobelets de plein vent. Des moutons et des oies seront présents par intermittence au cours de l'année. Le tout est actuellement clos par un grillage métallique avec des poteaux en bois. Les plants forestiers qui doublent ce grillage ont été plantés en janvier 2020 et s'installent progressivement et correctement. Les tiges de la future haie plissée permettront d'enlever la clôture métallique.
À la diversité des quelques arbres fruitiers déjà présents sur la parcelle (argousier, aubépinier, cormier, nashi, néflier, pommiers, prunier ...) s'ajoutent des pommiers et des poiriers dits "à deux fins", ce qui signifie que les variétés peuvent à la fois être mangées crues et transformées (confitures, jus, pâtisseries ...).
Notre objectif de production est de fournir des fruits pour faire du jus. Nous avons cherché des variétés qui arrivent à maturité de cueillette au même moment pour faciliter l'organisation de la récolte et qui tolèrent un minimum ou même une absence de traitements phytosanitaires.
Le choix des variétés a été réalisé à la suite d'échanges avec Philippe Mesmin, un pépiniériste et pomologue reconnu. Les pieds mères et les scions ont été cultivés à plus de 600 mètres d'altitude à Poisy, près d'Annecy. Du point de vue de l'épigénétique, ce sont des plantes qui ont connu des écarts de température et des conditions de culture plus rudes qu'en plaine.
Les cinq variétés de pommiers sont originaires de différentes régions de France et au delà :
La pomme d'Api et surtout la Decio sont parmi les variétés cultivées les plus anciennes encore connues. L'Api et Châtaignier sont des variétés appréciées de La Quintinie et de bien d'autres jardiniers et cuisiniers des XVIIe et XVIIIe siècles.
Pour les deux variétés de poires, nous avons choisi la Rousselet de Reims et la Grand Champion.
En plus de l'avancée des travaux, il existe bien des délices encore présents et visibles aux yeux de ceux qui veulent bien les voir :
Cette belle baie couleur myrtille presque noire donne une première impression en bouche de douceur d'un raisin sans pépin. Ce n'est que dans un second temps que les tanins et leurs astringences viennent assécher le palais. Cet arbuste originaire du nord-est des Amériques a été adopté au cours du XIXe siècle dans les pays d'Europe de l'Est adeptes des petits fruits diversifiés. Les jardiniers le cultivent en association avec d'autres vivaces au sein des bordures diversifiées des plates-bandes des cultures légumières intensives, qui sont ainsi un refuge pour les auxiliaires. Je recommande de cuisiner ce fruit en smoothie avec des bananes ou de l'ajouter dans une salade de poires et de pommes.
La floraison de cette plante se fait à l'occasion du raccourcissement des jours et de l'allongement de la nuit et est également l'indication que la tubérisation est en cours. Si tout se passe bien, les tubercules seront en vente en décembre. Le léger goût de cresson et le croquant des rondelles, après avoir été poêlées, accompagnent agréablement les rôtis, les poissons et les salades de plantes un peu grasses comme le pourpier ou la mâche.
Cette plante est également en cours de tubérisation et devrait être en vente en décembre. En duo avec des pommes de terre, son côté acidulé, citronné, apporte du relief.
C'est un des meilleurs moments de l'année pour manger des épinards. Avec les températures qui baissent, l'épinard développe des feuilles épaisses et savoureuses. La "Monstrueuse de Viroflay" est une variété locale qui rappelle le passé horticole et légumier de cette commune voisine.
Les plantes dans les serres sont moins visibles par les visiteurs et les étudiants. Dans le cadre d'un cours, les étudiants en Classe préparatoire aux études de paysage (CPEPClasse préparatoire aux études de paysage) ont eu le privilège de goûter des piments et des goyaves de Chine (Psidium cattleianum) présentés par David Provost, jardinier passionné par les plantes tropicales. Ce dernier fruit, de la dimension d'une petite noix ou d'une grosse olive, porte bien son autre nom de "goyave-fraise" qui malgré la mention « de Chine » est originaire d'Amérique du Sud.