Publications Article : Épilogue - Le Grand canal, parc du château de Versailles
Un jour, un jardin
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« En sortant du chasteau par le vestibule de la cour de marbre, on ira sur la terrasse ; il faut s’arrester sur le haut des degrez pour considérer la situation des parterres des pièces d’eau et les fontaines des cabinets. Il faut ensuite aller droit sur le haut de Latonne et faire une pause pour considérer Latonne, les lésars, les rampes, (…) L’allée royalle, l’Apollon, le canal… ».
Par ces indications données dans sa « Manière de montrer les jardins de Versailles », Louis XIV conviait ses contemporains au spectacle de ses jardins ; particulièrement celui de la grande perspective Est-Ouest où le soleil couchant se reflète depuis plus de trois siècles sur l’eau du Grand canal et les miroirs de la Galerie des glaces. L’histoire de cet axe est indissociable de la destinée royale du site. Dès le début du XVIIe siècle, le château de Louis XIII comporte déjà une allée est-ouest qui s’arrête à l’actuel bassin d’Apollon. Ce tracé est amplifié à partir de 1668 par André Le Nôtre (1613-1700) avec la création du Grand canal sur une zone d’ancien marais traversée par un ruisseau. La construction de cet ouvrage (1650 mètres de long, 62 de large), comme dans tous les grands jardins d’alors, bénéficie d’avancées techniques majeures en hydraulique et en mesure de l’espace (cartographie, nivellement). Le creusement est d’ailleurs décidé avec l’arbitrage de l’Académie des Sciences qui s’appuie pour le relevé de terrain sur un instrument récemment inventé, doté d’une lunette d’approche et d’une mire réglable. Plusieurs sommités participent à l’aventure, dont l’ingénieur du canal des Deux Mers (canal du Midi), Pierre-Paul Riquet de Bonrepos (1609-1680). Ce dernier travaille sur le projet de liaison du Grand canal à la Loire par la construction d’un nouveau canal dont l’entreprise, calculs de l’Abbé Picard à l’appui (vers 1674), s’avère irréalisable. La construction du Grand canal s’inscrit dans le chantier titanesque de Versailles pour approvisionner les jardins en eau, et assainir les terres marécageuses. Le Grand canal est l’une des pièces majeures du dispositif, à la fois réserve d’eau (qu’elle est toujours), et exutoire des eaux de ruissellement du terrain. Plus largement, ce long bassin s’inscrit dans une continuité millénaire de l’art des jardins et de l’aménagement du territoire, depuis l’Égypte ou la Rome antiques (canal de Canope, Villa d’Hadrien), et réactivée dans les jardins dès la Renaissance (Fontainebleau, Courances…). À la même époque qu’à Versailles, d’autres canaux sont aménagés dans les jardins de Vaux le Vicomte, Chantilly, Sceaux… et parallèlement sur le territoire, le canal du Midi, de Bourgogne…
Cet axe organise à la fois la structure du domaine, l’orientation du château et le tracé d’une partie de la ville. Le Nôtre réalise ici sa grande œuvre, dessinant après Vaux le Vicomte, des effets de perspective qu’il reproduit ici à l’échelle d’un grand territoire ouvert. De la terrasse du château, on perçoit deux bassins au premier plan, l’extrémité de la terrasse et directement au-dessous, au lointain, le Grand canal : nappe d’eau paisible et régulière découpée dans l’herbe, « 23 ha de ciel » pour citer Erik Orsenna. L’avancée vers le bord de la terrasse permet de découvrir une grande partie du jardin jusque-là invisible : rampes en amphithéâtre, fontaine de Latone, parterres, tapis vert, bassin d’Apollon… Au centre de l’axe, le tapis vert accompagne régulièrement la pente jusqu’au bassin d’Apollon. Celui-ci, construit en 1671 sur l’emplacement d’un premier bassin (le Rondeau – 1639), réintroduit l’eau dans la composition, et introduit le canal. Au-delà, la perspective se prolonge par une allée, ouverte sur une étoile (l’Étoile Royale) récemment reconstituée, dont les trois branches supérieures reprennent en sens inverse la patte d’oie ouverte devant le château. Au deux cinquièmes de sa course, le canal est coupé par un bras latéral, le tout formant une croix. Ce second canal, creusé à partir de 1671, (long de 1070 mètres), relie la Ménagerie au sud (disparue) au Grand Trianon au nord.
La flottille de bateaux et les gondoles offertes par la République de Venise du temps où le Grand canal était la vitrine des ambitions maritimes de la France ont disparu depuis longtemps, ainsi que les grandes fêtes. Mais le spectacle est toujours là, toujours recommencé, à chaque heure, à chaque saison, où l’eau reflète les variations infinies du soleil et s’enflamme au solstice d’été.
Bibliographie :
- Thierry Mariage « L’univers de Le Nostre », éd. Pierre Mardaga, éd. de 2003 ;
- Louis XIV, Manière de montrer les jardins de Versailles (réédition de 1992), éditions Réunion des Musées nationaux ;
- Anne Allimant, Collectif, ss la dir. de Georges Farhat, « De terre et d’eau. La maîtrise des ressources hydrogéologiques dans la construction des jardins », André Le Nôtre. Fragments d’un paysage culturel, éd. Musée d’Ile-de-France, Sceaux, 2006 ;
- Erik Orsenna, Portrait d’un homme heureux. André Le Nôtre 1613-1700, éd. Fayard, 2000.